lundi 20 mai 2019

A la ligne de Joseph Ponthus



Roman autobiographique qui nous fait découvrir « L'USINE » sous une forme très particulière, une sorte de poème scandé. Un long poème en prose qui nous plonge dans un monde qui tape, qui secoue, qui aliène.
Joseph Ponthus a quitté son emploi d'éducateur en région parisienne pour rejoindre son épouse en Bretagne. Il ne trouve pas d'emploi dans son domaine; il faut bien manger, les sous manquent. Alors il frappe à la porte des agences d'interim. Et il va travailler"à la ligne" car on ne parle plus de travail "à la chaîne" trop aliénant… Le voilà, coiffé d'une charlotte et chaussé de bottes, prêt à en découdre avec les crevettes et les bulots dans un atelier où la température frôle le négatif, puis dans un abattoir où défilent les carcasses. Et les mots coulent, comme passent les crevettes sur le tapis, les carcasses de vaches le long des rails.
Ce n'est pas le choix d'un intellectuel qui va à l'usine un moment pour voir comment cela se passe. C'est une nécessité pour gagner sa vie, comme pour la grande majorité de ces personnes qui sont contraintes d'accepter ces boulots pour « s'en sortir », se nourrir et se loger.
J'ai particulièrement apprécié le chapitre où il remercie sa mère en lui affirmant que ses études n'ont pas été inutiles, car sans elles il n'aurait pas pu supporter. Joseph Ponthus est un passionné de littérature, il se réfugie dans ses lectures et ses souvenirs pour tenir le coup. Il chante Trenet, Barbara, Brel, Ferré, convoque Apollinaire, Georges Perec, Homère..., interpelle Proust:
"le temps perdu
Cher Marcel je l'ai trouvé celui que tu recherchais
Viens à l'usine je te montrerai vite fait
Le temps perdu
Tu n'auras plus besoin d'en tartiner autant »
Il échafaude des contrepèteries :
"Egoutteur de tofu
Et fauteur de dégoûts"
Ce roman est une très belle surprise : une œuvre surprenante en forme de slam, très attachante. Il est plein d'impertinence et d'humanité. A l'aide de peu de mots, de petits bouts de phrase, l'auteur décrit la France des précaires, celle des intérimaires, ceux qui bossent pour vivre, contraints d'accepter n'importe quoi pour gagner quelques sous. Récit bourré d'émotions, de solidarité,d'humour, de non considération des chefs, de corps qui crient leur douleur. Et pas question, même s'ils sont solidaires -et s'ils en ont le « droit » dans la loi - de se joindre à un mouvement de grève, car c'en serait fini des "missions".
" L'usine bouleverse mon corps
Mes certitudes
Ce que je croyais savoir du travail et du repos
De la joie
De l'humanité" 
Et cela nous prend aux tripes car il parle de la France d'aujourd'hui, pas celle de Hugo ni de Zola, mais bien la France du XXI ° siècle.

4 commentaires:

Monique a dit…

Bel hommage et plaidoyer convaincant !

Ginou a dit…

@ Monique, c'est mérité, un bel ouvrage original en sa forme, et au fond émouvant et percutant.

Gilsoub a dit…

Allez hop, je rajoute à ma liste des livres à rejoindre ma PAL

Ginou a dit…

@ Gilsoub, tu me diras ce que tu en penses.